Le confinement l’a exacerbée mais la culpabilité c’est toute l’année !

La section syndicale ASSO-Solidaires du Secours Catholique nous propose son analyse, construite collectivement, de la question du sentiment de culpabilité qui ne quitte pas les professionnel·le·s de l’associatif que nous sommes. Pourquoi maintenant ? Parce que l’Etat d’urgence sanitaire que nous connaissons actuellement nous a collectivement mis·es à l’épreuve et a fait ressurgir cette question – qui par ailleurs nous traverse tout le reste de l’année. Il leur a semblé pertinent de lier cette question à celle du genre. Leur volonté ici est de permettre à des vécus qui peuvent sembler individuels de trouver une lecture structurelle et politique : culpabiliser de ne pas en faire assez pour les plus précarisé·e·s n’est pas anodin ! Culpabiliser de ne pas être autant qu’on le voudrait sur le terrain, parce qu’on a des enfants à garder ou que l’on est vulnérable, ne l’est pas non plus ! 

Genre et travail associatif

Le secteur associatif, particulièrement dans le domaine social et humanitaire, s’est construit sur la professionnalisation progressive d’un travail accompli gratuitement par des femmes et, dans une moindre mesure, des hommes d’Église. 

Nos métiers, majoritairement occupés par des femmes1, sont associés à un ethos féminin, c’est-à-dire un ensemble de caractéristiques qui les constituent et les définissent selon des normes habituellement associées aux femmes : attention, sollicitude, bienveillance, douceur, compréhension, humilité, écoute. Nous pensons que ces qualités dites « féminines » et habituellement associées aux femmes, sont le résultat d’un construit social (notre éducation, notre société) et n’ont rien de naturel. C’est la société dans son ensemble qui fabrique et assigne des caractéristiques différentes selon que l’on est une femme ou un homme. 

Il y a pour autant des hommes qui occupent aussi les emplois du secteur associatif, qu’ils peuvent investir différemment et dans lesquels ils progressent plus facilement – alors que 79% des salarié·e·s sont des femmes dans la catégorie Employé·e·s-TAM, elles ne sont plus que 60% dans la catégorie Cadres2 au Secours Catholique. 

Mais, de manière générale, les emplois du secteur associatif sont dévalorisés socialement et économiquement à plusieurs titres : parce qu’ils ne génèrent pas de valeur ajoutée, d’ailleurs on parle bien d’ « association à but non lucratif » et parce qu’ils sont à prédominance féminine3.

Aussi, l’assignation des femmes à la sphère domestique a des conséquences sur leurs possibilités de carrières.

Beaucoup de métiers à prédominance féminine sont dans la continuité du travail gratuit qu’elles ont effectué pendant des siècles et qu’elles continuent d’effectuer : l’entretien de la maison, l’alimentation et le soin aux enfants, malades et personnes âgées.

La notion de care4en tant que champ professionnel nous aide à penser cette réalité : infirmière, aide-soignante, éducatrice, professeure des écoles, hôtesse de l’air, travailleuse sociale, femme de ménage, assistante maternelle, caissière, cantinière sont autant de métiers mobilisant des compétences que l’on prend pour naturelles chez les femmes5.

Genre et culpabilité

Des compétences considérées comme innées et non acquises amènent à une dévalorisation du travail effectué et, certainement, à un sentiment de culpabilité si le travail n’est pas fait. Nous culpabilisons mais la société nous fait culpabiliser. Par exemple, pendant le confinement, un certain nombre de professionnelles de la couture ont confectionné des masques. Seulement, lorsqu’elles ont demandé à être rémunérées pour leur travail et non plus à le faire bénévolement, beaucoup de personnes ont désapprouvé, assimilant cette réclamation à un manque de solidarité et de civisme6.


La période de confinement, puis de ralentissement de nos activités à destination des personnes les plus précarisées a été l’occasion pour certain·e·s d’entre nous, salarié·e·s d’une association de lutte contre la pauvreté, d’expérimenter plus intensément encore le sentiment de culpabilité de ne pas en faire assez, pas assez bien. Elle en a même amené certain·e·s à en faire trop !


Nous pensons que notre mission, en tant que syndicat qui souhaite travailler à la transformation sociale, est de permettre aux salarié·e·s de prendre conscience collectivement de notre condition et nous espérons que ce papier participera à ce mouvement.

Bonne lecture !

Le travail associatif, une activité indispensable au bon fonctionnement de la société !

Nous venons de vivre une période inédite à plein d’égards. Durant deux mois, l’Etat a mis à l’arrêt l’essentiel de l’activité économique capitaliste. Il a invité au seul maintien des activités dites « essentielles ». Mais essentielles à qui ? Essentielles à quoi ? Nous pourrions le résumer ainsi : nécessaires au bon fonctionnement de notre société actuelle.

Le monde associatif est structurellement porté par le travail bénévole. Cependant près de 170.000 associations en France emploient 1.800.000 salarié·e·s. Là encore, ce sont essentiellement des femmes qui composent ce secteur, qu’elles soient bénévoles ou salariées, c’est-à-dire que leur travail soit gratuit ou reconnu économiquement. 

Social, culturel, sportif, environnemental… Quel que soit le domaine, le secteur associatif couvre essentiellement un champ d’activité, en creux des services publics de l’Etat. Ses activités sont gratuites ou très accessibles (sinon ce serait un bien marchand) et s’adressent à la population ou à des publics cibles dans la population. Et, dans une période comme celle que nous traversons, les associations d’aide aux personnes précarisées (comme la nôtre) se retrouvent en première ligne.

Mais toutes les associations qui ont dû suspendre leurs activités durant le confinement n’en restent pas moins des associations qui accomplissent, pour l’immense majorité d’entre elles, des missions d’éducation populaire, de lien social, de protection, de défense et promotion des droits des minorités… Et tout ceci sans but lucratif. Il n’est donc pas superflu de considérer qu’elles constituent une partie des activités indispensables au bon fonctionnement de la société actuelle.

En tant que salarié·e·s du secteur associatif, cette perception plus ou moins palpable de l’utilité sociale de nos métiers nous place entre le marteau et l’enclume. Nous mettons du sens à nos métiers et estimons même, souvent, qu’ils sont essentiels. Donc, devoir s’arrêter de travailler à cause des règles sanitaires imposées, du confinement et de ses conséquences, nous met en grande difficulté. 

Notre réseau d’acteur est bien entendu traversé par les mêmes sentiments et questionnements, en particulier les bénévoles de plus de 70 ans qui, du jour au lendemain, se sont retrouvé·e·s confiné·e·s et dans l’impossibilité d’agir au nom de notre association car « vulnérables », et ce malgré leurs compétences et leur investissement passés7.

Outre les difficultés financières auxquelles beaucoup de travailleuses et travailleurs d’association doivent faire face du fait de l’arrêt momentané de leur emploi, une difficulté d’ordre moral se pose : comment ne pas culpabiliser de ne pas pouvoir assurer nos missions professionnelles quand nous pensons que notre activité est essentielle ?

Entre urgence et transformation sociale : les tiraillements de nos métiers

Le fossé entre le Projet National du SCCF et la réalité de notre réseau accentue le sentiment de culpabilité chez une partie d’entre nous. Le projet national du SCCF 2016-2025 « Ensemble, construire un monde juste et fraternel » est ambitieux et une majorité des salarié·e·s de notre association est en accord avec lui, du moins dans les grandes lignes. Les missions des salarié·e·s du Secours Catholique convergent pour amener et développer ces changements dans les équipes locales afin que ce projet soit vécu.

Or, dans bien des délégations et dans une certaine mesure au sein du réseau international, on peut observer un grand décalage entre ce projet national et les activités menées par les équipes bénévoles. Ce décalage peut être source de culpabilité, peut faire naître en nous un sentiment d’échec et accroître le sentiment de ne pas être « capable » de faire vivre ce projet sur le terrain. Ce décalage s’est largement amplifié depuis mi-mars – début du confinement – qui a sonné l’arrêt de nos activités habituelles et la nécessité d’adapter nos actions pour répondre aux besoins suscités par l’Etat d’urgence sanitaire.

Pour les salarié·e·s et bénévoles engagé·e·s au Secours Catholique sur les actions internationales (DAPI), la mise en adéquation entre les actions soutenues et le projet national se heurte, particulièrement en ces temps de crise, à la distance avec le terrain qui conduit parfois à un sentiment d’impuissance et de culpabilité. A cela s’ajoute une tension entre une vision portée vers le changement social et une bureaucratisation accrue au quotidien imposée tant par les normes internationales de gestion des projets que par la volonté des chef·fe·s de rationaliser et contrôler des équipes autonomes.

En temps normal, le projet de transformation sociale de notre association invite les délégations à faire évoluer certaines activités historiques du Secours Catholique (distribution de colis alimentaires et de vêtements, collecte pour la Banque Alimentaire…) vers d’autres formes d’action : l’accompagnement vers l’accès aux droits, l’accompagnement collectif ou encore l’interpellation des pouvoir publics. 

Or, si nos modes d’actions sont voués à évoluer, nous observons de grandes réticences au sein des équipes locales, notamment de la part de « bénévoles historiques » qui n’ont aucune envie de modifier ce qu’elles/ils font depuis des années (voire des dizaines d’années), ni de mettre un terme à leur activité bénévole car celle-ci structure bien souvent leur quotidien. 

Cette tension entre le Projet National et la réalité du terrain se ressent également au niveau du recrutement des bénévoles. Le Secours Catholique fait le pari « d’accueillir tout le monde », de permettre à chacun·e de trouver sa place. Mais, nous notons parmi de nombreuses candidatures bénévoles une volonté d’exercer une mission dont les fruits seront visibles rapidement ou alors une mission ponctuelle, courte dans le temps. 

« Accueillir tout le monde », c’est aussi accepter des personnes qui n’adhèrent pas totalement au Projet du Secours Catholique, dans l’optique de les accompagner au changement. 

Par ailleurs, dans nos sociétés où la précarisation s’est instaurée dans tous les domaines de nos vies, s’engager dans une action bénévole de longue durée est devenu un luxe réservé à de moins en moins de monde. 

Or, les nouveaux modes d’actions que le Secours Catholique souhaite développer s’inscrivent sur le temps long. Le Projet National nous invite à prendre le temps de la réflexion, à stopper les actions d’urgence. Ces nouveaux modes d’action demandent des temps de formation – compétences techniques et/ou savoir-être qui s’acquièrent avec le temps – et les fruits de ces actions peuvent mettre des années à voir le jour. Comment alors concilier l’exigence de ce projet national et la nécessité pour les bénévoles – ou futur·e·s bénévoles – de se sentir utiles, maintenant, tout de suite ? 

Ces situations rendent le travail d’animation difficile. La pédagogie, l’écoute, les compromis sont au cœur de nos missions. Pourtant, le décalage est parfois tellement important qu’il fait naître en nous un sentiment d’échec, de culpabilité : « Je ne travaille pas assez » ; « Je ne sais pas faire » ; « Je n’arrive pas à les convaincre ».

Cette culpabilité est d’autant plus importante quand la ou le délégué·e et les Bureaux ne sont pas conscients (ou ne veulent pas l’être) de ces décalages. Et ce déni concerne aussi les instances nationales : conseil d’administration, comité de direction… Nous, salarié·e·s, pouvons avoir le sentiment que c’est de notre responsabilité individuelle alors que cette situation est vécue par une large majorité d’entre nous et doit nous amener à réfléchir collectivement à cette question.

Comment continuer à faire vivre ces transformations sociales sous État d’urgence sanitaire ?

Pendant le confinement, le décalage entre le Projet National – prônant des objectifs sur le long terme – et la réalité du terrain –  mise sous État d’urgence sanitaire avec les conséquences sociales que l’on connaît – s’est exacerbé pour beaucoup de bénévoles et salarié·e·s. Un sentiment d’inutilité a pu voir le jour chez certain·e·s. 

« Le Secours Populaire a continué comme avant malgré le confinement ! La Croix Rouge a fait plein de choses aussi, comme distribuer des paniers repas… Nous, on était à côté de la plaque, puisqu’on refuse de distribuer, d’agir dans l’urgence, alors qu’on savait qu’il y avait plein de gens en difficultés… » (parole d’une bénévole à une animatrice).

Ces souffrances de bénévoles sont souvent vécues pour l’animateur ou l’animatrice comme un échec : « Je n’ai pas réussi à faire que les bénévoles se sentent utiles » ; « Je passe mon temps à leur dire NON ».

Une compétition, souvent involontaire, s’est aussi mise en place entre les équipes, qu’elles soient bénévoles ou salariées. Un délégué regrettait de voir ses collègues de région déployer autant de chèques d’accompagnement personnalisé alors qu’il n’y avait pas de demande dans sa délégation.

« Qu’est-ce qu’on fait ? On commande quand même des chèques et vous les distribuez aux équipes ? Ce n’est pas normal qu’ailleurs ça bouge et pas chez nous ! Il faut faire autant que les autres ».

A l’inverse, le choix de s’engager dans la distribution de chèques services durant les premières semaines du confinement a aussi été un facteur de culpabilité. Certain·e·s d’entre nous, salarié·e·s comme bénévoles, ont pu avoir le sentiment d’abandonner pour un temps le Projet National du Secours Catholique auquel nous croyons pourtant, de faire un retour en arrière en généralisant une action distributive, celle des chèques services. 

Les besoins étaient criants sur le terrain, notamment en terme d’alimentation. Les personnes chargées du standard pendant cette période, notamment les assistantes de délégation, peuvent en témoigner. Seulement, nous avons une fois de plus eu le sentiment de pallier les défaillances de l’Etat : « Je sais que les personnes que nous accompagnons sont dans la galère mais ça ne devrait pas être notre rôle de faire cela ». Nous avons dû remettre en cause nos principes d’actions alors qu’un travail de fond pouvait être entamé pour mettre fin à ces logiques distributives, ancrées depuis des dizaines d’années dans nos délégations.

Bien que cette action ait une date de fin, nous préjugeons que son arrêt et un retour – si un jour cela est possible – à d’autres modes d’accompagnement d’un public précarisé vont être compliqués à faire entendre à une bonne part des bénévoles et des personnes précarisées que nous accueillons.

Il va l’être d’autant plus que le nombre de personnes en situation de précarité va exploser et que nous allons voir arriver dans nos accueils de nouveaux profils de personnes précarisées. C’est d’ailleurs ce que nous constatons depuis de nombreuses années avec l’augmentation de la précarité chez les personnes retraitées, notamment nos bénévoles. Ces tensions entre le Projet National, les besoins observés sur nos territoires et l’envie des bénévoles de répondre aux sollicitations des personnes précarisées va générer encore et toujours plus de culpabilité. 

Le travail domestique est une affaire de femmes et la garde d’enfant en tant que parent est un travail !

Le confinement a bouleversé le quotidien des parents : fermeture des crèches et des établissements scolaires, télétravail… Du jour au lendemain, il a fallu s’organiser et s’adapter à cette situation exceptionnelle. La sécurité sociale a pris en charge une partie des salaires des parents arrêtés pour garde d’enfants (de moins de 16 ans). Cette prise en charge financière a été la bienvenue pendant cette crise et a reconnu d’une certaine manière qu’être parent c’est… un travail !

Ce sont les femmes qui, majoritairement, ont eu recours à ce dispositif et encore plus au Secours Catholique où elles représentent 70% des salarié·e·s8. Lorsque ce sont des hommes qui se sont arrêtés, cela a parfois été mal perçu professionnellement (mais en fait… pourquoi c’est toi qui t’arrêtes et pas ta femme ?) ou inversement cela a été survalorisé par l’entourage (et participe une fois de plus à l’invisibilisation des femmes).

Selon les situations de chacun·e, certain·e·s salarié·e·s ont bénéficié de cet arrêt, d’autres ont choisi d’être en télétravail avec les enfants à la maison et d’autres encore ont continué de travailler alors même qu’elles et ils étaient administrativement en arrêt pour garde d’enfants.

Ce qui est sûr c’est que chaque cas de figure est venu avec son lot de sentiment de culpabilité voire de culpabilisation et qu’une fois de plus, pour toutes les raisons citées dans l’introduction, ce sont les femmes qui en ont le plus été victimes !

Augmentation du travail parental et domestique pendant le confinement

 On l’a dit : être parent c’est un travail. Et s’occuper des tâches ménagères est aussi un travail ; pour les parents et les non parents, travail qui est essentiellement réalisé par les femmes.

Pendant le confinement, il a souvent été encore plus difficile que d’habitude d’arriver à trouver un équilibre entre l’augmentation du travail domestique8 et l’emploi.

Nous pensons que garde d’enfants et télétravail sont incompatibles au-delà de quelques jours, car on ne peut cumuler deux journées de travail à temps plein en une seule ! Selon l’INSEE, le travail domestique représenterait environ 1/3 du PIB de la France9. Or, pendant le confinement ce travail invisible a largement augmenté pour tout le monde (parent ou pas) mais surtout, répétons-le encore, pour les femmes !

Dans le lot de leur charge quotidienne on peut citer quelques exemples :

–   Veiller au maintien des relations sociales : prendre des nouvelles de la famille, des parents, des ami·e·s ;

– Faire en sorte que la vie de famille soit la plus « normale possible » et s’assurer du bien-être de tou·te·s ses membres. On appelle cela la « charge émotionnelle » (il y a une super BD d’Emma qui traite du sujet10) ;

– Prendre soin de sa famille, se prémunir et prémunir ses enfants contre toute contagion, (désinfecter, veiller à leur lavage de mains, rester informée des nouvelles concernant le virus, limiter l’exposition des enfants aux informations des médias) ;

– Organiser, planifier : les devoirs, la recherche d’activités pour les enfants, la gestion du foyer (repas, ménage, courses).

Il ne s’agit évidemment pas de dire que les hommes n’ont pas exercé ces rôles durant le confinement, ni de dire qu’ils ne participent jamais à ces tâches le reste du temps. Les pratiques et les représentations évoluent sur ces questions, même si ce n’est pas assez rapide. Il s’agit simplement pour nous de souligner la sur-mobilisation des femmes dans ces thématiques, générant de fortes inégalités dans tous les autres domaines.

Augmentation des tâches domestiques, parentales, de la charge mentale et émotionnelle… il aurait été salutaire que cela soit vraiment pris en compte par l’employeur afin que les salarié·e·s du Secours Catholique traversent cette période le plus sereinement possible.

Et si on en parlait ensemble ?

 Un véritable soutien et dialogue et une réelle prise en compte des réalités de chacun·e au début du confinement auraient pu donner la possibilité à tou·te·s les parents qui le souhaitaient de s’arrêter sans culpabiliser (vis-à-vis des personnes précarisées, des collègues, des bénévoles) ; et de poser un cadre clair et sécurisant pour celles et ceux qui souhaitaient rester en télétravail (allègement de leurs horaires ? diminution de leur charge de travail ?).

Nous aurions ainsi pu éviter un sentiment que beaucoup ont ressenti durant le confinement : la culpabilité de ne pas pouvoir en faire plus (au travail, avec les enfants, à la maison, auprès de la famille).

Malheureusement cela n’a pas été le cas pour tou·te·s, ceci privant certain·e·s salarié·e·s de la possibilité d’exprimer leurs difficultés éventuelles dans ce nouveau contexte, mais aussi d’échanger avec leur chef·fe·s sur l’organisation de leur travail ou de leur arrêt.

Le travail associatif, une activité indispensable au bon fonctionnement de la société

Nous exerçons toutes et tous nos métiers à notre manière. Nous tâtonnons pour nous créer ce métier qui finit par nous co-appartenir. Ensemble. Nous l’habitons différemment certes mais le cadre dans lequel nous l’habitons, lui, est immuable. Ce cadre est représenté par notre contrat de travail et par les droits et devoirs que nous avons, nous, et notre employeur.

Peut-être vous souvenez-vous de notre cahier de revendication. Celle-ci nous rappelait les intérêts divergents, voire opposés, d’une personne salariée et son employeur. 

Ce qui m’intéresse moi, le pourquoi je suis ici, pourquoi je fais ce que je fais, n’est pas forcément ce qui intéresse mon employeur.  Et c’est tout l’enjeu du « dialogue social », que de réguler, équilibrer les forces, sur un marché où le chantage à l’emploi est toujours maître, où donc, l’employeur est toujours dominant. 

Le contrat de travail nous protège, mais pas seulement. Il nous guide. Il nous force à ne pas oublier le cadre, à ne pas nous oublier en allant au-delà du cadre ET AUSSI, à ne pas oublier toutes celles et tous ceux qui n’habitent pas leur métier comme nous, qui elles, eux, restent dans le cadre, et dans leur droit le plus strict. Cela ne se discute pas.

Quand, par exemple, nous nous trouvons légitimes à faire du bénévolat pour l’association qui nous emploie, habité·e·s par nos seules motivations, nos fois, nos militantismes, nos ambitions, nous sortons du cadre. Nous nous mettons en danger. 

Quand nous agissons ainsi, nous donnons à voir une nouvelle norme à notre hiérarchie. La norme du zèle. La norme des heures supplémentaires impayées.

Parfois, nous pensons que cela ne regarde que nous, parce qu’effectivement, personne, aucun·e chef·fe, n’a mis la moindre pression sur nous. Mais nous avons l’Amour de notre métier, la foi en ce que nous faisons, la culpabilité aussi. La culpabilité surtout, quand il s’agit d’aider les plus démuni·e·s, les plus fragiles… alors nous travaillons plus et plus et plus…

Mais quand nous faisons cela, quand nous donnons plus que ce qui nous est demandé (par notre contrat de Travail), quand nous disons OUI, ou que nous ne disons pas NON, à plus pour moins, alors nous nuisons à toutes celles et ceux qui font leur travail, dans le cadre. Ainsi nous donnons à penser que celles et ceux qui font dans le cadre, font mal, font moins, ne font pas assez, ne font rien.

Nous créons des conflits, nous nous mettons en danger, nous culpabilisons les autres.

« Je suis en activité partielle pour garde d’enfant pendant le confinement, et mon chef m’en veut de ne pas prendre de nouvelles de mes équipes parce qu’une de mes collègues, dans la même situation que la mienne, elle, le fait. (…) J’en suis à culpabiliser de réussir à me détacher de mon boulot quand je ne travaille pas ! » (parole d’une animatrice)

« Mon chef a tout géré pendant le confinement. Il était le seul au courant de tout ce qui se passait, participait à plein de réunions avec les partenaires. Je pense qu’il a fait ça pour nous protéger, mais pour moi c’était dur d’avoir l’impression d’en faire moins. » (parole d’une animatrice)

Et celles et ceux parmi nous qui posent des congés et participent finalement à une réunion pendant ce congé, ou envoient des mails hors des heures de travail… Tout cela s’est renforcé pendant le confinement, où, en télétravail, beaucoup d’entre nous ont perdu la barrière entre vie professionnelle et vie personnelle. Encore une fois, de là naît un sentiment de culpabilité.

 « Moi le dimanche je me repose, mais peut-être que je devrais travailler puisque mes collègues travaillent même le dimanche… ».

Dans notre section syndicale, nous voyons les chef·fe·s comme des garant·e·s du Code du Travail et de la sécurité des salarié·e·s. Mais est-ce bien leurs définitions, à elles et à eux ? Est-ce ainsi qu’elles et ils se voient ?

Lorsqu’un·e chef·fe perd de vue le cadre, pense la norme du zèle comme la norme du cadre, comment peut-elle, comment peut-il alors assurer la sécurité physique et morale de ses subordonné·e·s puisqu’elle/il en vient forcément à demander plus pour moins ? 

Et ça n’est pas le « Management de la bienveillance » et tous ses outils et méthodes, qui résoudront ces problèmes. Écouter, avec bienveillance, indéfiniment, sans jamais rien faire d’autre, sans jamais agir, réagir, n’engendre que démotivation, épuisement professionnel, impuissance, souffrance grandissante… L’écoute des souffrances, n’est qu’un premier pas, pas une fin en soi. 

Notre intention n’est pas de faire culpabiliser qui que ce soit, mais nous avons (modestement) l’ambition de participer à la prise de conscience individuelle et collective parce que tout ceci relève des pratiques sociales, des rapports sociaux et pas uniquement des relations interpersonnelles. Alors, oui, cessons de culpabiliser et de se culpabiliser et apprenons ensemble à déceler derrière nos émotions les mécanismes sociaux à l’oeuvre.

Les revendications d’ASSO au Secours :

 → Que soit organisé un temps entre salarié·e·s en équipe pour parler de notre vécu du confinement et les difficultés que ça a pu poser pour chacun·e ;
→ Que soit décidé collectivement entre salarié·e·s en équipe comment nous aimerions nous organiser si une nouvelle « crise » survenait ;
→ Que soit organisée la formation de toutes les personnes en responsabilité hiérarchique à ce qu’est leur responsabilité en tant que chef·fe vis-à-vis de la santé et sécurité au travail ;

Aujourd’hui, il est accordé 30 jours pour enfant malade au Secours Catholique, ce qui est une bonne chose comme politique RH car c’est beaucoup plus que la moyenne des autres entreprises (le code du travail prévoit 5 jours). Par contre, cela a un effet pervers si le Secours Catholique est le seul à le faire, puisqu’y travaille une majorité de femmes. Ce sont plutôt elles qui prennent ces jours que leurs compagnons hommes.

→ Que le Secours Catholique fasse de cette politique RH un plaidoyer à destination des autres employeurs et du gouvernement.

En tant que salarié·e  du Secours, il nous arrive de travailler le soir ou le week-end. Or à partir d’un certain âge, la CAF ne verse plus d’aide pour la garde des enfants.

→ Que le Secours Catholique porte un plaidoyer pour une augmentation substantielle des prestations familiales qui viennent reconnaître le travail des parents ; que ces prestations familiales concernent tou·te·s les parents et qu’elles soient encore plus conséquentes pour les mères qui élèvent seules leurs enfants (profil type de la personne précarisée aujourd’hui en France comme l’indique notre rapport annuel) ;

Pendant le confinement, l’Etat a su reconnaître le travail des parents qui s’occupent de leurs enfants via la sécurité sociale, inspirons-nous en pour proposer à tou·te·s les parents un vrai congé parental rémunéré (aujourd’hui la sécurité sociale ne couvre qu’une partie du salaire) et congé paternité aussi long que le congé maternité.

→ Que le Secours Catholique adopte dans sa politique RH une égalité de traitement entre les femmes et les hommes sur le congé paternité et, pour les salarié·e·s en congé parental, qu’il leur verse un salaire équivalent au salaire médian au Secours Catholique ; que le Secours Catholique porte un plaidoyer pour que ces mesures deviennent des mesures sociétales ;
→ Que le Secours Catholique porte un plaidoyer pour une valorisation économique du travail domestique et, pourquoi pas, un salaire ménager pour les femmes ?

Et, dans l’immédiat, toutes et tous dans la rue le 16 juin aux côtés des soignant·e·s, des collectifs contre les violences policières, des collectifs féministes, des collectifs de sans-papiers… et de toutes celles et tous ceux qui osent rêver le monde d’après !

Pour une révolution fraternelle… avec adelphité (c’est-à-dire, qui n’oublie pas les femmes, l’autre moitié de l’humanité :-)

Pour retrouver l’article en PDF cliquez ICI.

1 Une enquête de 2007 indiquait que 68 % des 1,9 millions de salarié·e·s du secteur associatif sont des femmes – voir M. GATEAU, « De l’embauche à la démission ou les écueils du travail associatif dans les associations locales de solidarité internationale », Socio-logos [En ligne],

2 Au sujet de l’inégalité entre les femmes et les hommes au Secours Catholique, voir notre tract https://isidor.secours-catholique.org/document/cahier-de-revendications-section-syndicale-asso-secours-catholique

3 Voir à ce sujet Cash Investigation : « Egalité hommes femmes : balance ton salaire », une enquête de Zoé de Bussierre diffusée mardi 19 mai 2020 à 21 heures sur France 2.

4 Par care, on entend les métiers du soin, du bien-être, de l’attention à l’autre etc. Ce sont tous les soins permanents et quotidiens, ayant pour fonction de prendre soin de la société et du monde dans lequel nous vivons. En français, il n’y a pas d’équivalent à ce terme anglosaxon qui couvre un large champ professionnel… et très féminisé. Pour mieux comprendre le care : https://www.cairn.info/revue-etudes-2010-12-page-631.htm#

5 M. LEGRAND, « Lutte contre le coronavirus : si les femmes s’arrêtent, les masques tombent », https://www.axellemag.be/coronavirus-femmes-confection-masques/

6 J. LAUFER, S. LEMIERE, R. SILVERA, « Pourquoi le travail des femmes vaut-il moins ? », in L. LAUFER et F. ROCHEFORT (dir.), Qu’est-ce que le genre ?, Payot et Rivages, 2014, 315 pages.

7 Cela nous renvoie à la nouvelle réforme des retraites et pose la question : « Qu’en sera-t-il de l’action des associations caritatives dans 40 ans, si une épidémie de ce genre frappe à nouveau alors que les premier·e·s retraité·e·s de 67, 68 ans voire plus, partiront à la retraite et s’engageront dans le mouvement associatif ? »

8 Ensemble des tâches non rémunérées qui ont pour but l’entretien de la maison et le soin des personnes qui composent la famille : lessive, ménage, cuisine, gestion des enfants, courses, etc.

9 INSEE, « Le travail domestique, 60 milliards d’heures en 2010 ».

10 https://emmaclit.com/2020/03/22/le-pouvoir-de-lamour/

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