Je n’ai pas arrêté de répondre aux demandes des salarié.e.s en détresse depuis le 16 mars, en arrêt ou non. J’aimerais bien souffler.

Le syndicat ASSO-Solidaires publie un nouveau témoignage d’une salariée d’association sur la période épidémique actuelle. Il démontre d’une manière accablante comment les souffrances au travail dans l’associatif s’articulent et s’amplifient avec celles de leur public. Ce n’est pas nouveau, mais la crise actuelle l’éclaire d’une lumière plus que crue. Il ne s’agit plus de risques « psycho-sociaux », mais de pure maltraitance.

« Je travaille comme conseillère en économie sociale et familiale (CESF) dans une association d’insertion par le travail. Nous accompagnons des personnes en difficultés pour accéder à un emploi, en leur proposant des missions de travail et un accompagnement social et professionnel, dans l’attente d’une reprise d’emploi plus stable. Mes missions principales sont sur de l’accompagnement social.

J’ai des soucis de santé, donc le 16 mars, j’ai été travailler sur un site pour lequel je n’ai pas besoin, pour y aller, de prendre les transports en commun. Suite à cela, ma direction m’a dit de me mettre en arrêt. Mon médecin traitant m’a arrêtée 15 jours. Je n’ai plus eu de nouvelles de ma direction, pour savoir quelles démarches faire pour la suite, et pour savoir ce qu’il se passait au niveau de la structure. J’ai appris par les personnes que j’accompagne que certain.es de mes collègues étaient en télétravail, et que d’autres étaient, comme moi, arrêté.es. Ma direction restait injoignable. Mes seuls contacts étaient mes collègues en arrêt, qui elles aussi s’inquiétaient de la situation, et ne savaient pas quoi faire.

Même en arrêt, j’ai continué à répondre aux demandes. Nous accompagnons des personnes connaissant des difficultés sociales (logement, endettement,…), et je ne pouvais pas imaginer les laisser pendant cette période. J’avais mon téléphone professionnel et mon ordinateur portable professionnel. Mais mon téléphone ne permet pas de faire des photos, de télécharger des documents,… donc j’ai souvent transmis et utilisé mon téléphone personnel pour communiquer avec les personnes accompagnées. Et le logiciel qui est utilisé comme base de données dans l’asso, avec lequel nous travaillons en permanence, n’était pas installé sur mon ordinateur. J’ai donc dû me débrouiller comme je pouvais pour faire les démarches administratives avec les gens. Par la suite, j’ai contacté un collègue qui me donnait des informations tirées de ce logiciel par mail quand je lui demandais. Le logiciel en question a fini par être installé sur mon ordinateur fin avril.

Mon arrêt se terminait fin mars, j’ai envoyé un mail à la médecine du travail une semaine avant pour expliquer ma situation et avoir un avis. Ils m’ont envoyé des dépliants et m’ont engagé à me rapprocher de ma direction. J’ai transmis le mail à mon employeur et j’ai lu les informations envoyées par la médecine du travail. J’ai fait mes recherches et des démarches pour reconduire mon arrêt sur le site de la CPAM. Ma direction m’a confirmé plus tard que ça lui allait.

Pendant tout ce temps où j’ai travaillé isolée, je n’ai eu que 3 appels de ma direction. Aucun soutien sur mes démarches, sur mon travail, sur ma santé. J’ai été complètement abandonnée. Je n’étais au courant de rien de ce qui se passait dans l’asso, de l’organisation qui avait été mise en place,… J’ai compris au bout d’un moment que certain.es collègues, celles et ceux qui étaient en télétravail, échangeaient régulièrement. Mais toutes celles qui étaient en arrêt comme moi, étaient sans informations.

La direction a transmis des notes de service avec les mesures prises pour la « reprise » le 20 mai.

Du fait de mes soucis de santé, je ne suis presque pas sortie de chez moi depuis le 16 mars. J’ai dû gérer seule mes problèmes et les questions administratives posées par cette situation inédite. J’ai aussi été seule pour accompagner les personnes qui me contactaient.

Ça fait des années que je travaille comme CESF. Les personnes que j’accompagne sont toujours dans des situations de grande précarité. Mais elles sont aussi pleines de ressources, et le système D fonctionne bien (récup’ sur les marchés, travail au noir, entraide,…). Sauf que pendant le confinement tout ça ne pouvait pas être activé. Certain.es se sont retrouvé.es sans aucun revenu, vraiment démuni.es : pour payer leur loyer, les factures d’énergie, pour fournir 3 repas à leurs enfants qui d’habitude vont à la cantine,… Et le cloisonnement entre les administrations fait que les gens doivent se battre au quotidien pour préserver leurs droits. Comme avec la CAF, qui a demandé des renouvellements de titre de séjour, alors que 2 ordonnances de l’Etat actaient la prolongation des titres dont la validité arrivait à échéance pendant le confinement.

Les personnes accompagnées sont aussi salarié.e.s de l’association, mais en CDD d’usage, donc très précaires. En mars, elles n’ont été payées que sur les heures de travail effectuées jusqu’au 16 mars, même si des contrats avaient été signés pour la 2e quinzaine.

En avril, certain.es ont été payé.es pour les contrats prévus en avril, et en rattrapage de ce qui aurait dû leur être payé en mars. Mais pas tou.tes. Les critères ne sont pas clairs pour moi. Et ce n’est pas clair non plus pourquoi les heures de mars n’ont pas été payées dès le mois de mars. Forcément, les gens ne comprennent pas, parlent de discriminations, réclament,…

A force de passer du temps au téléphone j’ai développé une tendinite.

Mais ce qui était surtout difficile, c’est que je me suis sentie mise à l’écart.

Aucun travail d’équipe n’a eu lieu pendant cette période, alors que ça doit être une part importante de notre fonctionnement. C’est une équipe réduite, plusieurs collègues étaient déjà en arrêt avant le confinement. Mais là l’équipe a éclaté. Il y a eu les « premiers de la classe » qui étaient au courant de tout, et pour les autres c’est « démerdez-vous, on n’a pas besoin de vous ».

Aucune « télé-réunion d’équipe » n’a été organisée depuis le 16 mars.

J’ai aussi constaté que les personnes accompagnées, qui sont sensées être au cœur de notre activité, grâce à qui notre activité existe, on n’en a pas assez parlé. Il n’y a que l’économique qui compte, le social passe après. Peu importe par exemple que certain.es aient été payé.es ou non. Il n’y a aucune empathie.

Depuis le 4 mai j’ai repris officiellement le travail. Je suis en télétravail, et à la demande de ma direction je pose quelques jours de congés de temps en temps.

Les collègues qui étaient en télétravail ont repris en présentiel.

Je n’ai pas arrêté de répondre aux demandes des salarié.e.s en détresse depuis le 16 mars, en arrêt ou non. J’aimerais bien souffler. Pour cela, il faudrait un réel travail d’équipe et surtout la réactivité sur tous les fronts, pas seulement pour répondre à la demande du client. »

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