Travailler en Centre d’hébergement par temps de Covid

Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé lundi 16 mars 2020 que personne ne serait laissé de côté durant l’épidémie. Le syndicat Solidaires ASSO dénonce l’incurie du gouvernement et des pouvoirs publics qui laissent au secteur associatif et à ses travailleur.ses le soin d’assumer seul.es sans aide ni accompagnement, ces promesses du Président de la république. Pour illustrer cette situation inadmissible, nous publions aujourd’hui un nouveau témoignage d’une membre* de notre syndicat, après celui publié le 20 mars ICI.

« Je suis éducatrice spécialisée. Je travaille dans un centre d’hébergement. Mes collègues sont travailleuses sociales (assistantes sociales, juristes et éducatrices spécialisées), logisticien, agent d’accueil et psychologue. Nous n’avons pas de personnel médical dans l’équipe. 75 personnes vivent dans le centre (personnes seules et familles), dans des chambres de 9m2. Ils et elles partagent les sanitaires et des cuisines collectives. Autant dire qu’organiser le confinement ce n’est pas simple.

Nous avons mis en place des protocoles, rapidement, dans l’urgence. Nous avons essayé de réfléchir à des choses pour mettre le moins possible de personnes en danger :

  • la création de différents espaces de confinement à l’intérieur du centre : un pour les personnes qui présentent des symptômes du virus, un autre pour les personnes testées positives.
  • la prise en charge spécifique des personnes à la santé fragile, à risque : le matériel de protection leur ait dédié en priorité, …
  • une organisation du travail différente : une partie du personnel est en télétravail, l’autre sur le terrain, et nous nous relayons (toujours les mêmes binômes : un jour sur place / un jour sur site). Nous savons que nous risquons de tomber malades, l’idée est aussi d’essayer de garder du personnel « en réserve ». Et nous ne recevons plus les personnes accueillies dans nos bureaux, nous faisons le maximum de démarches, de suivi et d’informations à distances (téléphone, whats app). Nous limitons au maximum les contacts, afin de préserver tout le monde.
  • La mise en place d’outils, par exemple des vidéos, avec des traductions, pour expliquer les gestes barrières, le lavage des mains, les différents symptômes, l’utilisation des attestations de déplacement…
  • la distribution des plateaux repas pour les personnes en zone de confinement et les personnes présentant des risques de co-morbidités, afin de limiter leur temps sur les lieux collectifs, tel que les cuisines.
  • Nous imprimons les devoirs pour les enfants et soutenons certains parents qui peuvent être en difficultés (personnes analphabètes et non francophones).
  • Et nous continuons d’accompagner les personnes dans le maintien de leurs droits en termes de santé, de droit du travail, de renouvellement de droit au séjour…

Pour l’instant, nous avons des masques, des gants, du gel. Mais pas pour tout le monde, nous avons dû faire des choix (pour les masques, priorité aux personnes présentant un risque de co-morbidité et aux personnes atteintes du covid 19). Nous espérons en recevoir, afin de pouvoir équiper tout le monde. Nous avons des personnes hébergées qui continuent de travailler et qui ne sont pas protégées dans les transports et parfois aussi sur leur lieu de travail. Nous avons obtenu un test, le 1er jour pour une personne malade, mais depuis c’est devenu extrêmement compliqué de faire tester les personnes. Nous avons négocié avec l’ARS (agence régionale de santé) pour faire venir une équipe sanitaire mobile, ce qui nous a permis de tester deux autres résidents (dont un qui s’est révélé positif).

Pour l’instant, nous n’avons que 2 résident.es malades mais plus de tests car nous avons épuisé, ce que l’ARS nous a octroyé, à savoir 3 tests pour 75 personnes. Le dispositif que nous avons mis en place, n’est viable que si nous avons accès à des tests, en nombre suffisant.

Au niveau de l’équipe, nous essayons de veiller le plus possible les un.es sur les autres. Nous savons que nous allons commencer à rencontrer des choses très difficiles. Nous avons la possibilité d’interpeller une psychologue sur l’extérieur. Ce dispositif était déjà en place, mais il nous a été demandé de le solliciter, dès qu’un besoin se fera sentir. Deux de nos collègues, présentent des symptômes du COVID 19, diagnostiquées par leur médecin. Malheureusement, elles n’ont pas eu accès à des tests. Comme tous les salarié.e.s du secteur social, médico-social, et d’autres secteurs qui continuent de travailler pour la communauté. Nous sommes des professions invisibles, nous risquons de mettre en danger nos proches, les personnes que nous accompagnons, et nous ne pouvons pas nous faire tester !!!

Nous rencontrons aussi un problème de garde d’enfants, pas prévu pour l’instant pour le personnel de structure sociale, comme la nôtre.

Pour les personnes hébergées, il y a eu quelques moments de paniques quand nous avons mis en place les protocoles. Les raisons sont multiples : le manque d’explication sur ce que nous mettions en place, le manque de temps et l’urgence de la situation, les angoisses que cette situation peut générer…

Mais dans l’ensemble ils et elles sont hyper compréhensifs. Ils et elles sont même très aidant.es.

Par exemple, plusieurs se sont proposé.es pour être référent.e ménage des espaces communs de leur étage. Et ils et elles nous aident à relativiser ; beaucoup d’entre eux ont connu des évènements traumatisants dans leur parcours (épidémies, victimes d’emprisonnements abusifs, de tortures, de viols,…) et savent mieux que nous mettre les coups durs, en perspective.

Pour autant, Nous avons peur, que certain.es puissent décompenser, liées au confinement, qui est une forme d’enfermement. La psychologue de l’équipe est en lien régulier avec eux, pour apaiser leurs angoisses.

Nous avons également des parents qui ont des enfants et/ ou des conjoint.es dans un autre pays. Déjà en temps normal, cette situation est très compliquée, et les démarches pour la réunification familiale sont extrêmement longues et particulièrement difficiles. Là, cette crise sanitaire rajoute du stress supplémentaire de savoir leurs enfants loin, possiblement isolés et les mettent face à leur impuissance de ne pas pouvoir les protéger et les soigner.

Et pour d’autres, faire l’école à leurs enfants n’est pas si simple. Cela les ramène à leurs propres difficultés face à une langue qu’il ne maîtrise pas ou peu.

Tout le travail social est suspendu, sauf les urgences (renouvellement de CMU, ouverture de droits, blocages financiers,…) : Nous distribuons des plateaux repas, nous sortons les poubelles, nous prenons des nouvelles des personnes malades,… Nous imprimons les devoirs pour les enfants car la plupart des résident.es n’ont pas d’ordinateur, encore moins d’imprimante.

Notre amplitude horaire a évidemment augmenté, surtout au début. Il y a beaucoup de stress, de tension. La charge émotionnelle, déjà importante dans ce métier, est encore plus dense. Nous gérons notre stress et aussi la peur et les angoisses des personnes hébergées. L’autre jour, un résident m’a remis oralement ses dernières volontés, s’il venait à décéder, et là je ne m’y étais pas préparée !

C’est assez compliqué de se projeter, nous gérons au jour le jour, avec ce que nous avons. Et en même temps, nous essayons de nous préserver, car nous allons devoir tenir sur la durée. Nous devons également anticiper à minima pour essayer de se préserver un maximum. Par exemple, nous savons que nous allons manquer de matériel, nous constatons des pénuries de tests, de gants, de masques, de thermomètres,…

Heureusement, il y a des réseaux de solidarité qui se sont mis en place.

Beaucoup des résident.es font leurs courses dans des marchés, qui sont fermés, et/ou vont aux restos du cœur, qui ne fonctionnent plus. Nous constatons également une grande solidarité entre eux, comme mijoter des petits plats, pour remonter le moral, des personnes malades.

La cuisine centrale de la commune s’est proposée de nous fournir gratuitement des plateaux repas pour les résident.es du centre, ainsi que des masques qui leur restaient des élections. Si nécessaire, nous débloquons des fonds afin chacun.e puisse rester autonome.

Il y a aussi un réseau informel avec d’autres salarié.e.s du secteur sanitaire et social, qui travaillent dans d’autres structures (avec parfois des conditions de travail hallucinantes et sans aucunes protections). Le but est de nous soutenir, de s’entraider mutuellement, de se relayer des informations (ex : une personne va coudre des masques en tissus, qui seront partagés).

Heureusement que cette solidarité existe, c’est tout ce qu’il nous reste !

Je n’attends rien des pouvoirs publics, ni du gouvernement. Ils réussissent même à compliquer notre travail, comme en changeant l’attestation de sortie au bout de quelques jours. Nous constatons qu’ils sont vraiment très loin du terrain.

Le travail social est devenu extrêmement complexe et compliqué, aujourd’hui. Nous n’avons plus les outils que nous avions, il y a 20 ans, parce que c’est un secteur qui a été détruit, comme celui de la santé.

Donc, je n’attendais déjà rien d’eux avant, mais là, ils mettent des personnes vulnérables, en grand danger. Cela doit changer, de toute urgence ! Nous ne pourrons pas reprendre la vie que nous avions avant. Nous sommes arrivés au bout d’un système de maltraitance institutionnalisée par 30 ans, voire plus, de démantèlement du programme des « jours heureux ». Cette pandémie met en lumière, l’ensemble des dysfonctionnements, déjà existants. Cette crise sanitaire, nous apprend que d’autres choix sont possibles, comme celui de la solidarité… »

* Pour des raisons évidentes, nous avons anonymisé ce témoignage et ne communiquons, ni la structure employeuse, ni son territoire d’action.

One thought on “Travailler en Centre d’hébergement par temps de Covid”

  1. bonjour, oui très explicite ce commentaire de cette professionnelle du socia,l rien à rajouter je pense comme elle, notre état ne fait pas sont travail de protection vis à vis de sa population que ce soit des personnes fragiles ou autres. Nous voyons bien que depuis au moins 10 ans le secteur santé, social et éducatifs se dégradent ,qu’ils n’ont pas été capable de garder dans notre pays des entreprises de fabrication très importante pour notre société( pharmacopée et autres…) notre pays est donc dépendant et en danger.le covid ,nous a révélé cette situation et cela atteint toute les couches de notre société .Notre président peut bien remercier tous ces gaulois réfractaires au réglement ,nous ne sommes pas aveugle et nous voyons bien que l’argent a plus d’importance que les vies .Point de vue d’une ancienne infirmière de gériatrie et du réseau social ,bénévole au secours populaire

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