Note de l’Union syndicale Solidaires
La Kanaky (Nouvelle-Calédonie) est un territoire situé à 16 500 kilomètres de la France, et proclamé colonie française en 1853.
Le 4 novembre, un referendum est organisé en Kanaky. C’est la suite des accords signés en 1988 et 1998, entre une partie du mouvement indépendantiste kanak, la droite coloniale de Nouvelle-Calédonie et l’Etat français. Par ces textes, il est notamment reconnu que « le choc de la colonisation a constitué un traumatisme durable pour la population d’origine », […] « le moment est venu de reconnaître les ombres de la période coloniale », [et d’] « ouvrir une nouvelle étape marquée par la pleine reconnaissance de l’identité kanake, préalable à la révision d’un contrat social entre toutes les communautés qui vivent sur le Caillou, et par un partage de souveraineté avec la France, sur la voie de la pleine souveraineté ».
Le camp colonial n’a eu de cesse de remettre en cause les engagements pris par les accords Matignon-Oudinot (1988) et Nouméa (1998). Les gouvernements français, tout en se revendiquant d’une neutralité qui n’a pas de sens et ne correspond pas à la réalité, l’ont appuyé. Ensemble, ils ont agi pour que le « rééquilibrage » prévu au profit de la population kanake, spoliée depuis un siècle et demi, n’ait pas lieu. Et, de fait, le peuple kanak demeure sous-représenté dans les métiers les plus qualifiés et rémunérés et victimes de discriminations multiples, que ce soit en termes de formation, d’embauche, de logements ou encore d’accès aux soins.
Concernant le corps électoral, les accords n’ont pas été respectés. Même la très officielle Organisation des nations unies (ONU) considère que c’est bien aux peuples colonisés, et à eux seuls, de décider de leur avenir : c’est l’autodétermination, qui ne peut être le fait des colonisateurs. Pour l’ONU, la Nouvelle-Calédonie fait partie de la liste des « territoires non autonomes », suivis par le Comité spécial de la décolonisation.
Depuis les accords de 1988, les mouvements indépendantistes avaient accepté d’ouvrir le corps électoral au-delà de la seule population kanake. Mais l’Etat colonial et les forces qu’il soutient en ont voulu toujours plus : la population issue de la colonie de peuplement organisée par l’Etat français peut voter même si son implication dans la vie locale se résume à une boîte aux lettres, l’inscription de personnes installées récemment a été validée par des mairies dites « loyalistes », tandis que des milliers de kanak.es ne sont pas inscrit.es !
Les partis politiques et l’Etat français, qui font tant d’efforts pour que les arrivants récents en Kanaky puissent voter (contexte colonial oblige !), sont les mêmes qui, en France, refusent tout droit de vote aux populations immigrées, dont certaines sont installées depuis bien longtemps. Les adeptes du racisme et du colonialisme adaptent leurs positions selon d’où ils et elles parlent !
Un récent communiqué de la Ligue des droits de l’Homme résume la situation :
« Depuis le début du XXe siècle, la Ligue des droits de l’Homme (LDH), elle-même ou par l’action de ses représentations, n’a cessé de dénoncer une réalité coloniale qui a conduit le peuple Kanak au bord du gouffre, l’a dépossédé de ses terres et a nié sa culture et ses droits. Cette exploitation des ressources et des personnes a permis le développement d’une économie de comptoir et la constitution de fortunes considérables monopolisées par quelques familles. C’est face à cette domination quasi absolue et à la violence qu’elle a engendrée que se sont produites les multiples révoltes du peuple Kanak. Tout au long de ces années, la LDH a été aux côtés du peuple Kanak dans ses luttes et pour son droit à l’autodétermination. […] En se déclarant abusivement comme l’arbitre d’une situation dans laquelle ils sont, en réalité, un acteur intéressé et permanent, les différents gouvernements de la République n’ont pas permis d’aller jusqu’au bout du processus de décolonisation. Les progrès incontestables qui ont permis aux différentes communautés de se reconnaître n’empêchent pas le territoire de supporter les stigmates d’une domination toujours présente. Le refus des autorités françaises, malgré les engagements pris en 1988, de s’attaquer aux effets de l’économie de comptoir régnante conduit à une situation sociale et territoriale profondément inégalitaire, essentiellement au préjudice des populations Kanak et océanienne [..] »
Face à l’échéance du 4 novembre, le mouvement indépendantiste Kanak est divisé : autour du Front national de libération kanake et socialiste (FLNKS), une partie appelle à voter « oui » ; l’Union syndicale des travailleurs kanaks et exploités (USTKE) et le Parti travailliste qui en est l’émanation prônent la non-participation. C’est la conséquence d’analyses différentes quant à la stratégie à suivre pour arriver à l’indépendance. Il est indéniable que le piège de l’institutionnalisation, par la gestion des instances créées par les accords de 1988 et 1998, a fonctionné : nombre de militants et militantes ont été eloigné.es des tribus et des usines, certains et certaines se sont embarqué.es dans des arrangements électoraux « surprenants », … Et tout ceci contribue à un certain désarroi au sein de la jeunesse kanake qui n’a pas vécu l’action directe pour l’indépendance des années 1980.
Quel que soit le résultat de ce scrutin, qui n’est pas un referendum d’autodétermination, la lutte pour la décolonisation continuera. L’Union syndicale Solidaires continuera à y prendre part, à travers le soutien aux organisations directement parties prenantes de ce combat. Les liens avec l’USTKE sont anciens. Pour beaucoup de camarades qui ont contribué à la création de l’Union syndicale Solidaires, ils sont même antérieurs à l’existence de notre Union syndicale. Ils remontent aux années 1980, à travers un engagement de nos structures syndicales d’alors dans le soutien aux luttes du mouvement indépendantiste et contre la répression, à travers aussi un travail d’information auprès de nos adhérents et adhérentes, et plus largement des travailleuses et travailleurs en France, sur la situation ici, en Kanaky. Nous l’avons réitéré à maintes reprises, à l’occasion de soutien aux luttes menées par l’USTKE ou lors de rencontres avec des délégations venues en France ou vues sur place.
Le travail d’information et d’explication sur la réalité coloniale est encore plus nécessaire aujourd’hui. C’est ce que nous tentons de faire, dans un cadre unitaire avec le collectif Solidarité Kanaky par exemple, ou avec l’Association information et soutien aux droits du peuple Kanak (AISDPK), organisation historique du soutien en France. Après le 4 novembre, nous devrons amplifier ce travail. L’Union syndicale Solidaires propose aux organisations françaises qui le souhaitent la mise en place d’un outil commun ; collectif unitaire, plate-forme commune, comité ad-hoc, … Nous sommes ouverts sur la forme, l’essentiel est le fond : agir ensemble pour soutenir le droit du peuple kanak à l’autodétermination, le droit à l’indépendance de la Kanaky, et l’exigence de réparation de l’Etat colonial français vis-à-vis du peuple kanak.