Trente ans après la fin de la dictature du général Pinochet au Chili, voici que le pays voit les militaires s’installer à nouveau dans les rues. C’est encore l’extrême droite chilienne qui la convoque, ni plus ni moins, par l’un des représentant du néo-libéralisme : l’actuel président Sebastian Piñera.
Après des manifestations historiques en 2006 (la marche des « pingouins »), 2008 et 2011, les étudiant-es chilien-nes se sont encore une fois mobilisé-es. Depuis le 17 octobre, l’action de resquille du métro en réaction à la hausse des tarifs du transport public à Santiago du Chili, a été le point de départ d’une série de revendications plus larges soutenues par un fort mouvement social. À cette opération, rejointe par des milliers d’étudiant-es, l’État répond avec une violente répression policière. Quatre jours après le début des actions, le bilan est déjà lourd : si on compte des dégradations dans 77 stations de métro sur 136, le gouvernement a décrété l’état d’urgence et le couvre-feu dans plusieurs villes et régions du pays, et on recense désormais 11 mort-es et plus de 2000 arrestations.
Malgré l’état d’urgence décrété dans les villes de Santiago, Valparaíso, Talca, Chillán, Temuco, Punta Arenas, Coquimbo, La Serena, Concepción, Antofagasta et Valdivia, et malgré les couvre- feux (dans les provinces de Iquique et Pozo Almonte, la région de Valparaíso et Métropolitana, et les villes de Rancagua, Talca, Concepción et Valdivia) les chilien-nes sortent manifester. Ce lundi 21 octobre, les organisations sociales des villes de Valdivia, Osorno, Temuco et Santiago appelaient à manifester. Des groupes de soutien à la mobilisation se sont également rassemblés à Paris et Berlin.
Comme on a pu le voir de la part du gouvernement français vis-à-vis des gilets jaunes, il s’agit pour le gouvernement chilien de criminaliser les luttes populaires afin de noyer les justes revendications sociales en les faisant passer pour du banditisme et de la délinquance, le but étant d’éviter toute négociation ou sortie politique du conflit. Ces événements montrent comment l’État entend se servir de l’état d’urgence – soi-disant temporaire – pour imposer ses politiques, n’hésitant pas à revenir aux pratiques les plus indignes utilisées pendant la dictature de Pinochet. L’Institut National des Droits de l’Homme dénonce l’usage démesuré de la force par les militaires et la police, et constate l’existence de violations des droits de l’homme : tortures, enfants blessés par balles, violences sexuelles (en particulier contre les femmes).
Les organisations regroupées autour de la Coordination de travailleurs de l’industrie minière (CTMIN) ont critiqué le manque de ressources destinées à la santé et à l’éducation publique, et dénoncent le vol des ressources en eau par le grand patronat ainsi que la contamination produite par les grandes entreprises. Elles critiquent également les hausses constantes des tarifs des transports en commun, de l’énergie et de l’eau. Ces différentes organisations proposent une injection des ressources de l’industrie minière pour subvenir aux demandes sociales et appellent à une grève générale à partir du mercredi 23 octobre. D’autres organisations n’ont pas attendu et ont déjà appelé à faire grève, à manifester et à participer à différentes assemblées. Ces dernières, comme la Central Unitaria de Trabajadores (CUT) et le syndicat du Metro,critiquent l’état d’urgence et exigent sa levée ainsi que le retrait des troupes armées avant toute négociation. Onze ports nationaux sont en grève et participent aux manifestations. L’Union Portuaria del Centro appelle à faire grève et à participer aux assemblées, et exige la formation d’une assemblée constituante avec les travailleurs et citoyens, pour discuter d’un nouveau modèle productif, industriel et de développement, avec la nationalisation du cuivre et des ressources naturelles du pays.
Les professionnels de la santé sont aussi mobilisés. S’ils rejettent la violence sous toutes ses formes, ils rejettent en particulier la violence d’un système de santé spécialement inégalitaire. En dénonçant le manque de ressources et le coût important de la santé pour le portefeuille des usagers, ils invitent les professionnels de la santé à participer aux mobilisations ainsi qu’aux assemblées en dehors des centres de santé. Leurs revendications sont : subvenir aux besoins des centres de santé en crise de ressources médicales ; augmenter les dépenses destinées à la santé à 6 % du PIB d’ici trois ans ; doubler le montant alloué aux mairies pour financer le programme de santé publique de l’État ; créer un fond de santé universel avec la prise en charge des médicaments le plus utilisés ; améliorer les conditions de travail des fonctionnaires de la santé, entre autres.
Nous voyons aujourd’hui, comme dans le cas en France avec le mouvement des gilets jaunes, une floraison de revendications qui échappent largement à un seul secteur de la société : augmentation du salaire minimal à 500 000 pesos (620 €), réduction du temps de travail à 40h par mois, retraites équivalant au salaire minimum, transports publics gratuits pour les étudiants et les seniors, nationalisation des services publics et des ressources naturelles, gel des prix des services publics, démocratie directe, assemblée constituante, procès en justice pour les cas de corruption politique des grandes entreprises, achat de terrains pour la construction de logement sociaux, fin du profit dans le domaine de l’éducation et de la santé, nouveau système de défense de l’enfance, respect des cultures originaires et restitution de leurs terres ancestrales.
Le mouvement social au Chili n’a pas laissé les marchés financiers chiliens indifférents. Avec une fermeture anticipée de la bourse de Santiago ce lundi, l’IPSA, indicateur regroupant les 30 plus grandes entreprises du marché, a chuté de 4,21 % pour revenir à sa valeur de 2017. Mais d’autres grandes entreprises sont aussi affectées : SMU -7,4 %, Ripley -7,1 %, La Polar -7 %, Falabella -7 %, Cencosud -5,6 %. En tout, ce sera 7,8 milliards de dollars perdus rien que pendant la journée du lundi !
La criminalisation des luttes sociales en France comme au Chili doit être fermement condamnée et combattue. Notre syndicat soutient les demandes légitimes des travailleurs et le droit des peuples à vivre dignement et en paix. Nous sommes solidaires des mouvements sociaux dont les luttes visent l’émancipation des peuples ici en France avec le mouvement des gilets jaunes et exprimons notre soutien aux travailleurs et travailleuses du Chili mobilisés pour leurs droits, qui se confrontent aujourd’hui aux forces militaires et de police d’un gouvernement profondément anti- démocratique.