L’année dernière nous avion épinglé le Mouvement associatif pour co-organiser un prix pour l’emploi de qualité sans qu’il n’y ait de salarié.e associatif dans le jury. La fédération des têtes de réseau associatif a quand même sollicité l’avis de syndicats de salarié.e.s dans son magazine de janvier 2017 sur « Quelle politique pour l’emploi d’intérêt général ? ». Nous avons été heureux de donner le nôtre. Nous vous retranscrivons ici l’entretien publié le mois dernier dans la Vie associative, n°25.
Le Mouvement associatif : Quel bilan faites-vous des politiques d’emplois aidés menées dans le dernier quinquennat (CUI-CAE, emploi d’avenir) ?
Syndicat-Asso : Les dispositifs d’aide à la création d’emplois spécifiques au secteur non lucratif ont permis un maintien du nombre d’emplois salariés dans le secteur associatif. Mais cela s’est accompagné d’un accroissement des disparités territoriales et de la précarisation des salarié.e.s associatif.
Cette situation tient au fait que l’accès à ces contrats aidés diffère selon les Régions et les Préfectures : les conditions d’accès sont opaques et inégales (embauche d’un jeune à Bac +5 possible dans une région et non dans une autre, par exemple). Les politiques de l’emploi ont aussi accéléré la précarisation du secteur associatif, car les aides sont données pour une durée déterminée, ce qui empêche une visibilité à long terme. Les employeurs rémunèrent rarement les salarié.e.s embauché.e.s en CUI-CAE au-delà du SMIC horaire, alors même qu’ils et elles sont souvent embauchés à temps partiels, sans droit à la prime de précarité de fin de CDD.. Les CUI-CAE sont par ailleurs, invisibilisés dans la structure, non comptabilisés dans le calcul des effectifs, ce qui empêche la constitution d’instances représentatives du personnel si les seuils sociaux sont atteints.
Ces dispositifs d’emplois et de mécénat de compétences réservés à l’associatif contribuent également à déqualifier l’emploi associatif, car ils sous-entendent qu’il ne nécessite pas de compétences propres au secteur, voire peu de compétences.
Le bilan que nous faisons de cette politique est très critique, car ces dispositifs d’aide à l’emploi ont renforcé les faiblesses du secteur associatif, les inégalités territoriales, l’absence de vision et d’engagement à long terme et enfin la précarité des emplois. C’est un reflet de la vision jacobine qu’a l’État du monde associatif : une « sous-fonction publique » qui sort du chômage des publics précaires, jusqu’alors aux marges du marché du travail, pour réaliser des missions d’intérêt général, tout en les maintenant dans le halo du sous-salariat.
Pour nous, le secteur associatif ne peut plus servir de laboratoire pour diminuer les chiffres du chômage, en masquant les tensions sociales à l’œuvre en France et notamment la déqualification et la précarité de nombreux travailleurs.
MA : En 2018, les associations vont bénéficier d’un abattement sur les salaires de 4% (CITS). Pensez-vous que cette mesure va consolider et favoriser le développement de l’emploi associatif ?
ASSO : L’État annonce un effort de 600 millions d’euros pour les associations à travers un dispositif d’abattement fiscal concernant les taxes sur les salaires inférieurs à 2,5 fois le SMIC. Le syndicat ASSO est dubitatif sur l’efficacité de cette mesure en termes de créations et de qualités d’emploi.
Les associations souffrent d’un manque de financement pérenne et d’une libéralisation du financement associatif avec le passage d’une logique de subvention de fonctionnement à une logique de mise en concurrence sur des marchés ponctuels. Cette mesure s’inscrit dans la droite ligne de cette libéralisation, de la financiarisation du secteur associatif et d’un affaiblissement de la puissance publique. L’État duplique la logique marchande, capitalistique (une baisse des salaires devrait permettre la restauration du taux de marge et la création d’emplois) à la logique associative, non lucrative. Les associations devraient créer ou maintenir un emploi parce qu’elles sont porteuses d’un objet social et qu’elles ont les moyens de leur projet, et non pas parce qu’elles bénéficient d’un abattement fiscal. En participant à cet affaiblissement de la puissance publique, qui ne créera pas d’emploi et détruit progressivement l’emploi public, les associations se rendent complices du désengagement de la puissance publique dans l’encadrement des « communs ».
MA : Les conditions d’emploi sont parfois plus dégradées dans le monde associatif que dans le secteur public et privé. Comment une politique de l’emploi pourrait aider à remédier à cette situation?
ASSO : Le secteur associatif bénéficie de politiques d’emploi spécifiques (emplois–jeunes nouveaux services, CUI/CAE, emplois tremplins, et dans une certaine mesure service civique), alors qu’il est parfois un piètre employeur : 53% des salarié.e.s associatifs sont en CDI contre 88 % dans le privé lucratif et 83% dans la fonction publique, 50% des emplois associatifs sont à temps partiels allant jusqu’à 70% dans les seuls secteurs du sport et de la culture. Les politiques menées par l’État ont une lourde responsabilité dans cette réalité car elles ont instauré une précarité durable en participant ou en favorisant la transformation et la diversification des modes de financement associatif. Par exemple par le biais des aides à l’emploi à durée déterminée, des marchés publics sans distinction de la forme des structures répondantes, des appels d’offres au moins coûtant, en instaurant des obligations d’obtenir des co-financements venant du secteur lucratif, ou encore par le biais des contrats à impact social introduisant une mesure de la rentabilité de l’intérêt général, etc.
Pour remédier à cette situation, l’État doit mettre fin à la libéralisation du financement associatif et revenir à une logique de subventions de fonctionnement pérennes et garanties au titre de l’objet social de l’association sur le modèle du Fonds de Développement de la Vie Associative ou du FONJEP.
MA : Au-delà de la question des conditions de travail, comment améliorer la qualité de vie au travail dans les associations?
ASSO : L’amélioration des conditions de travail doivent passer par l’organisation des salarié.e.s associatif. Ils et elles sont souvent isolé.e.s dans leurs structures (55 % des associations employeuses ne comptent qu’un à deux salarié.e.s). Ces salarié.e.s qui portent l’objet social de leur structure dans des conditions précaires et faiblement rémunératrices doivent pouvoir bénéficier de la constitution d’instances représentatives du personnel, quel que soit leur nombre. Les salarié.e.s en CUI-CAE, les stagiaires, les volontaires en services civiques doivent être comptabilisés dans les effectifs de la structure et bénéficier de droits au même titre que les autres salarié.e.s (application du droit du travail, cotisation chômage et retraite, complémentaire santé, etc.). La situation en l’état est d’autant plus absurde qu’un décret du 24 novembre 2016 demande l’assimilation des volontaires en service civique aux effectifs salariés d’une entreprise de l’ESS sans pour autant leur ouvrir de droit à la représentation.
Aujourd’hui, près de 30% des salarié.e.s associatifs ne sont couverts par aucune convention collective (contre seulement 8% dans le secteur privé lucratif). Nous demandons que le rattachement des associations employeuses à une convention collective soit obligatoire. Les conseils d’administrations bénévoles, bien que de bonne volonté, ne sont pas toujours au fait des obligations d’un employeur. Les membres de bureau d’associations doivent bénéficier d’une formation au droit du travail afin de connaître leur responsabilité d’employeur.